(Montel) Les prix encore trop élevés du nucléaire et des énergies renouvelables présentent un défi « colossal » pour la France si elle veut atteindre son objectif de production de 6,5 GW d’hydrogène bas carbone d’ici 2030, estiment des experts.
Et « fabriquer de l’hydrogène bas carbone à partir d’énergie nucléaire est un non-sens économique qui n’a aucun avenir », a-t-il dit.
Aux yeux de Philippe Boucly, président de France Hydrogène, qui promeut la filière, il est néanmoins trop tôt « pour balayer le nucléaire d’un revers de la main ». Lancer de l'hydrogène propre représente un enjeu « colossal », souligne-t-il.
Au-delà des simples coûts, il est nécessaire d’intégrer dans l’équation la création d’emplois, la sécurité d’approvisionnement et l’indépendance énergétique et technologique, précise-t-il.
En septembre, la France, dont le mix électrique repose à 72% sur le nucléaire, a annoncé son ambition de construire une capacité de production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables et atomique de 6,5 GW d’ici 2030, dans le cadre d’un plan massif de EUR 7,2 milliards.
Mais, selon M. Lepercq, l’hydrogène produit par électrolyse à partir d’énergie nucléaire « ne se fera pas ou à des quantités très modestes car cela coûtera des centaines de milliards d’euros de subventions ».
L'entrepreneur croit savoir que Hynamics, la filiale hydrogène d’EDF, vend son hydrogène nucléaire à EUR 10/kg, (EUR 250/MWh), soit un coût « six fois » trop élevé.
Jose Miguel Bermudez Menendez, analyste spécialiste de l’hydrogène à l’Agence internationale de l’énergie (IEA), estime pour sa part que le nucléaire est, au contraire, intéressant puisqu'il produit de façon continue.
« Cela permet d’amortir considérablement l’impact de l’investissement dans les électrolyseurs (…) Je pense qu’avec des prix du nucléaire à EUR 50/MWh, l’hydrogène pourrait s’établir dans une fourchette de EUR 3/kg à EUR 4,5/kg. »
Selon lui, un réacteur peut produire jusqu’à 8000 heures par an contre 1500 heures pour un parc photovoltaïque.
Alors que la France doit décider d'ici 2023 de la construction de nouveaux EPR, l'expert met néanmoins en garde contre l’utilisation de ce type de réacteurs pour fabriquer de l’hydrogène, le coût de l’électricité étant trop onéreux.
Eolien, « hors de portée »
En outre, l’éolien terrestre en France serait également « hors de portée » pour produire de l’hydrogène vert, affirme M. Lepercq. Le coût de cette énergie est actuellement deux à trois fois trop élevé et son rendement trop faible, selon lui.
Dans un rapport publié en janvier, le gestionnaire de réseau RTE, dont l’actionnaire principal est EDF, indique que le prix de l’hydrogène nucléaire ou renouvelable ne se justifie qu’en incluant une forte valeur carbone. « Le développement de la filière sera donc dépendant de l’évolution de la fiscalité et du soutien public », estime-t-il.
La France doit se résoudre à importer de l’hydrogène fabriqué à la partir d’électricité solaire, dans des unités intégrées, en Espagne, au Portugal et « potentiellement » au Maroc et en Tunisie, les pays où les gisements solaires sont les plus rentables, selon M. Lepercq.
Tandis que l’éolien terrestre et le solaire en France se situent autour de EUR 60/MWh, selon les derniers appels d’offres du gouvernement, il a battu un record mondial à la baisse au Portugal à EUR 11,14/MWh.
Avec son projet Hydeal, qui regroupe une vingtaine d’entreprises de l’amont à l’aval de la filière, M. Lepercq a pour ambition de rendre l'hydrogène vert compétitif avec le gaz naturel à partir de 2025, au prix livré de EUR 1,5/kg (EUR 38/MWh).
« Irréaliste »
Toutefois, plusieurs analystes jugent cet objectif « irréaliste », notamment en raison du manque d’infrastructures pour transporter l’hydrogène en Europe et d’électrolyseurs abordables.
« Nous ne projetons pas les coûts de l’hydrogène [vert] sous la barre des 2 euros/kg dans le sud de l’Europe avant 2030 », estime M. Bermudez Menendez.
Pour M. Boucly, « l’idée est bonne mais 2025 me parait anticipé car il n’existe même pas les usines pour fabriquer les électrolyseurs ».
Actuellement les industriels du raffinage et de la chimie achètent à 95% de l’hydrogène fabriqué à partir de gaz naturel, appelé hydrogène gris, à EUR 1,5/kg, soit EUR 38/MWh, essentiellement utilisé dans le raffinage et l’industrie chimique.
Contactés, EDF et le ministère de la Transition écologique n’ont pas répondu aux sollicitations de Montel.